C'est écrit dans les livres : Emilio "Indio" Fernandez (1904- 1986) fut l'un des plus grands réalisateurs mexicains et une figure majeure du cinéma du XXe siècle. Voici l'occasion de mettre ce jugement à l'épreuve - dont l'Indien sort vainqueur. Sous le titre "Viva Mexico", emprunté au film d'Eisenstein, sortent en salles quatre films d'El Indio - Maria Candelaria (1943), La Perla (1945), Enamorada (1946) et Salon Mexico (1948) auxquels le distributeur a ajouté Macario, réalisé en 1959 par Roberto Gavaldon.
Ce dernier film a en commun avec ceux de Fernandez d'avoir été photographié par Gabriel Figueroa, autre figure majeure du cinéma mexicain, qui fit des incursions à Hollywood - son dernier film fut Au-dessous du volcan, de Huston (1983).
Né dans le nord du Mexique, près de Ciudad Juarez, Emilio Fernandez doit son surnom à sa mère, amérindienne d'origine kikapu. Son père est colonel d'une des armées de la révolution de 1910. Emilio lui-même est bien avancé dans la carrière des armes lorsque, en 1923, l'échec d'un putsch d'inspiration révolutionnaire le contraint à fuir aux Etats-Unis. Il finit par s'installer à Hollywood, où il est la doublure de l'acteur Douglas Fairbanks et croise le chemin d'Eisenstein, qui prépare Viva Mexico !
On pourrait développer cet aperçu biographique en un roman picaresque afin de donner une idée du monde d'El Indio : une société en mouvement perpétuel, parcourue de divisions, dont les parties ne peuvent se défaire. Chaque film repose sur l'un de ces affrontements. Maria Candelaria raconte la tragédie d'une jeune Indienne méprisée dans son village pour son origine et pour la profession de sa mère - prostituée. Incarnée par la sublime Dolores Del Rio, la Maria Candelaria de Fernandez est plus une icône que la représentation réaliste de l'oppression des indigènes. Le rôle de son compagnon, pauvre fermier exploité par un "patron" inique, est tenu par Pedro Armendariz. Le mélodrame se déroule implacablement, magnifié par le noir et blanc de Figueroa, qui confère aux costumes, aux paysages, une beauté presque onirique : Maria cultive des fleurs et Figueroa réussit à donner une impression de noir et blanc bariolé.
La Perla, adapté de la nouvelle de John Steinbeck, peut prendre place aux côtés des Raisins de la colère de John Ford ou d'A l'est d'Eden, d'Elia Kazan. Pedro Armendariz, pauvre pêcheur, accompagné de sa femme et de son enfant, veut à tout prix vendre la perle qu'il a trouvée, dans l'espoir d'assurer l'éducation de son fils. Mais l'argent ne suffit pas à combler le fossé entre opprimés et oppresseurs.
MÉLANGE DÉTONANT
On retrouve Armendariz en général révolutionnaire dans Enamorada, film historique doublé d'une comédie shakespearienne puisque le chemin du héros croise celui d'une jeune femme dévote, réactionnaire mais rebelle (Maria Felix, le plus beau haussement de sourcils de ces années-là) qu'il lui faut apprivoiser.
Le mélange de guerre civile - dont l'un des moteurs est la lutte entre révolution laïque et église catholique - et de guerre des sexes, de cruauté et de burlesque est hautement détonant.
On confessera un petit faible pour Salon Mexico, pur mélodrame qui chante une prostituée au grand coeur. Elle consacre tous ses gains à l'éducation de sa petite soeur. Mais la fille des rues est sans cesse ramenée au Salon Mexico, bar louche et métaphore d'un Mexique corrompu que ni la vertu ni l'éducation ne peuvent corriger. Le film s'achève sur une ritournelle qui regrette la mort de Juarez, le grand réformateur du XIXe siècle.
Tourné une dizaine d'années plus tard, Macario relève d'un univers différent. Fausse légende populaire (le film est adapté d'une nouvelle de B. Traven, l'auteur du Trésor de la sierra Madre), Macario suit l'ascension et la chute d'un paysan qui rencontre la mort et en reçoit le don de soigner certains de ses contemporains. Plus maniéré, moins énergique que les films d'El Indio, Macario vaut par son interprétation et, une fois encore, par la photographie de Figueroa, qui trouve dans le fantastique le matériau idéal pour ses envolées poétiques.
"Viva Mexico !", cinq films mexicains : "Maria Candelaria" (1943, 1 h 36), "La Perla" (1945, 1 h 25), "Enamorada" (1946, 1 h 33) et "Salon Mexico" (1948, 1 h 30) d'Emilio Fernandez. "Macario", de Roberto Gavaldon (1959, 1 h 30).
A Paris, à l'Arlequin et au Latina. A Montpellier, au Diagonal, et à Biarritz, au Royal, à partir du 1er novembre. A Lyon, au cinéma Opéra, à partir du 22 novembre.