Les Français connaissent ce nom par cœur, cette sonorité râpeuse : Guadalajara. L'estadio Jalisco leur rappelle un match de légende contre le Brésil. Pour cela et tant d'autres moments, l'arène mexicaine est un haut-lieu du football. Quatre clubs pour un stade
En 1954, Don Alberto Alvo, dirigeant du Club Atlas et personnalité du football mexicain, décide de la construction d'un nouveau stade à Guadalajara. Le projet met du temps à être finalisé, sous les ordres des architectes Jaime de Obeso et Javier Vallejo : le premier lieu prévu pour la construction doit en effet être écarté, et les exigences financières obligent les clubs locaux, rivaux habituels, à s'unir pour que le stade voie le jour : c'est encore Alberto Alvo qui parvient à mettre d'accord l'Atlas, le Club Deportivo Guadalajara (les Chivas Rayadas) et le club de Oro. De plus, les fidèles des clubs sont mis à contribution, et apportent par souscription 15 des 18 millions de pesos exigés. Les travaux ne débutent finalement que début juillet 1958, sur un terrain situé entre les rues de Monte Carmelo, de Monte Casino, des Sept collines et d'Iztaccíhuat. Le stade, d'une capacité de 50 000 spectateurs, est inauguré moins de deux ans plus tard, le 24 janvier 1960, et reçoit la bénédiction de Monseigneur le cardinal Don José Garibi Rivera.
L'inauguration sportive a lieu quelques jours plus tard, le 31 janvier, dans le cadre du "Torneo Pentagonal de Occidente", une compétition amicale à laquelle sont invités, en plus de l'Atlas, Chivas et Oro, le club argentin de San Lorenzo de Almagro, et les Brésiliens de São Paulo. Le premier match se déroule entre l'Atlas et San Lorenzo de Almagro : Alfredo "Pistache" Torres est le premier à entrer sur le terrain, Norberto Boggio le premier à marquer, devant 20 000 personnes. Les clubs résidents sont les trois clubs initiateurs du projet, l'Atlas, le Club Guadalajara, et Oro-Jalisco (ex-Oro), bientôt rejoints par l'Universidad de Guadalajara.
Les deux premiers de ces clubs sont les plus importants, les seuls des quatre à avoir une réelle envergure nationale. Chivas (ou Club Deportivo Guadalajara), notamment, est l'un clubs les plus forts d'Amérique du Nord. Comme son nom ne l'indique pas : "Las Chivas", en espagnol, ce sont "les chèvres". Le sobriquet, attribué par un journaliste dans les années cinquante, alors que le niveau de l'équipe est pitoyable, est récupéré par les dirigeants de l'époque avec un sens unique de l'autodérision. Quelques années plus tard, le surnom semble porter bonheur. Lorsqu'elles emménagent au Jalisco Las Chivas viennent déjà de remporter trois championnats mexicains. Le club domine encore cette compétition en 1960, 1961, 1962, 1964, 1965 et 1970, à quoi il faut ajouter divers titres nationaux (coupe du Mexique en 1963) et continentaux, notamment une Coupe des champions de la CONCACAF (Amérique du Nord et Antilles) en 1962. Des résultats qui en font le plus grand club mexicain, avec l'América de Mexico. Au centre d'entraînement du club trône bientôt une devise, sur un panneau : "Soy chiva, y que ?" ("Je suis une chèvre, et alors ?"). Les autres locataires ne souffrent guère de la comparaison. L'Atlas remporte la coupe mexicaine en 1962 et en 1968. Oro-Jalisco remporte à la surprise générale le championnat en 1963, devant Chivas, mais c'est le seul titre pour ce club-là. L'Universidad de Guadalajara ne fera quant à elle jamais mieux que la deuxième place.
1970 : le parcours du Brésil
Logiquement concerné par son organisation, pour le Mondial 1970, le stade Jalisco bénéficie d'un agrandissement d'envergure. En effet, un second anneau de gradins est construit au-dessus des tribunes originelles, élevant la capacité à 70 000 spectateurs ! De plus, la couverture est étendue à toutes les tribunes. Dans ce joyau, qui fait concurrence à l'Azteca auprès des étrangers admiratifs, on dispute d'abord tous les matches du groupe 3 lors du premier tour. Un groupe relevé, avec en présence l'Angleterre, tenante du titre, le Brésil, et de Pelé revenu sur sa retraite internationale, la Roumanie, outsider parfait, et la Tchécoslovaquie, grande nation du football européen. Finalement, sans surprise, l'Angleterre et le Brésil se qualifient. Dès leur premier match respectif, les deux concurrents se placent bien, l'Angleterre la première, le 2 juin, face à la Roumanie (1-0), le Brésil le lendemain face à la Tchécoslovaquie (4-1), match au cours duquel Pelé tente un geste qui restera légendaire, un lob de 50 mètres sur le gardien adverse, Ivo Viktor. Puis, la Roumanie bat la Tchécoslovaquie (2-1), et le Brésil et l'Angleterre se battent pour la première place : le match est accroché, d'ailleurs l'affluence est un record pour le stade puisque 66 843 voient Jairzinho départager les deux équipes en marquant pour le Brésil à la 59e. Enfin, le Brésil bat la Roumanie (3-2), l'Angleterre bat la Tchécoslovaquie (1-0) et le Jalisco se prépare pour la suite.
En effet, le 14 juin, Guadalajara accueille un quart de finale entre le Brésil et le Pérou. Un match superbe, et une avalanche de buts avec des Péruviens courageux. Le Brésil marque en effet rapidement par Rivelino (11e) et Tostao (15e), mais Alberto Gallardo fait renaître l'espoir (28e). En seconde mi-temps, les Brésiliens prennent de nouveau le large (Tostao, 52e), mais Teofilo Cubillas réduit encore le score (70e). Enfin, c'est Jairzinho qui met les Auriverde définitivement à l'abri (75e). Des Auriverde qui s'habituent à l'ambiance du Jalisco, puisqu'ils reviennent là pour jouer la demi-finale contre l'Uruguay. Le remake de la finale 1950 s'avère plein de suspense : en effet, la Celeste marque la première, grâce à Luis Cubilla (19e). Une avance conservée presque jusqu'à la pause : Clodoaldo égalise pour le Brésil à la 44e. Puis, la Seleção revient avec de bonnes intentions en seconde période, et offre deux buts aux 51 261 spectateurs du Jalisco, par Jairzinho (76e) et Rivelino (89e). Après avoir joué tous ses matches à Guadalajara, le Brésil part, plus fort que jamais, pour battre l'Italie à Mexico, et remporter son troisième Mondial.
Bats écœure le Brésil
Seize ans plus tard, le Mondial 1986 est de nouveau l'occasion de travaux au stade Jalisco. Pas d'agrandissement cette fois, mais une modernisation de l'ensemble du bâtiment et de ses équipements, qui fait même légèrement baisser la capacité (65 000 personnes). On sait dans quelles conditions le Mexique accueille la compétition : la Colombie jette l'éponge en 1983, puis en plus de délais très courts un teemblement de terre frappe les organisateurs quelques mois avant l'ouverture du Mondial. Le stade Jalisco le subit d'ailleurs de plein fouet, mais résiste parfaitement.
Guadalajara reçoit de nouveau la visite du Brésil, tenant du titre, pour les trois matches de celui-ci dans le groupe D du premier tour, tandis que les trois autres matches sont disputés à l'estadio Tres de Marzo non loin de là (Algérie - Irlande du Nord et Irlande du Nord - Espagne), ou à l'estadio Tecnologico de Monterrey (Algérie - Espagne). Le 1er juin, les Auriverde commencent par affronter l'Espagne devant 35 748 personnes. Un match remporté sur un seul petit but de Socrates (62e). Le 6 juin, le Brésil ne fait pas mieux face à l'Algérie, à l'étonnement général (Careca, 66e). Heureusement, le 12 juin, le Brésil rassure sur ses capacités offensives en battant cette fois les Nord-Irlandais 3-0 (Careca 15e et 87e, Josimar 82e). Le Brésil termine premier de son groupe (devant l'Espagne), tous ses espoirs sont encore permis. Une autre rencontre du premier tour se déroule au Jalisco, le 11 juin, entre le Portugal et le Maroc. La surprise est grande : les Marocains remportent le match 3-1, et se classent premier du groupe F, devant l'Angleterre, tandis que le Portugal est dernier avec 3 points seulement (étrangement, pris contre l'Angleterre).
Le Brésil est probablement rassuré de disputer ses matches au Jalisco, comme en 1970 : il remporte d'ailleurs son match de huitièmes de finales 4-0 contre les Polonais, des buts de Socrates (30e, penalty), Josimar (55e), Edinho (79e) et Careca (83e, penalty). Mais le tour suivant fait vivre au Brésil l'un des matches les plus difficiles de son histoire, le 21 juin, face à la France et à son "carré magique, Platini-Giresse-Tigana-Fernandez qui vient d'éliminer l'Italie (2-0). Le Brésil croit pourtant de nouveau à sa bonne fortune en marquant sans tarder (Careca, 17e). Mais la France d'henri Michel joue bien, et Platini inscrit un but à la 40e. La suite est une opposition inoubliablke pour les 65 000 personnes présentes dans les tribunes, mais la France bénéficie, il faut le dire, d'une chance indécente, les Brésiliens touchant du bois à deux reprises, et dominant largement les Bleus. Après une seconde mi-temps et une prolongation sans but, ce sont les tirs aux buts qui doivent départager les deux nations : Platini rate le sien, mais Joël Bats, le gardien français, qui a déjà arrêté un penalty de Zico douze minutes avant la fin du temps réglementaire, remporte un duel de plus que son homologue adverse Carlos, et Luis Fernandez se charge de qualifier les siens, entraînant sans le savoir une vague d'émeutes au Brésil. En demi-finale, le 25 juin, la France échoue cependant, comme en 1982, contre l'Allemagne de l'Ouest, devant 45 000 personnes. Andreas Brehme marque rapidement (9e) et Rudi Völler parachève la victoire (89e). Cette fois-ci, Jalisco n'aura porté chance à personne, et la RFA perd sa finale face à l'Argentine quelques jours plus tard, au stade Azteca de Mexico.
Une cause perdue ?
Du côté des clubs de Guadalajara, Chivas retrouve enfin le succès après dix-sept ans vierges de tout titre : le club remporte le championnat de fermeture 1987. Il faut cependant attendre ensuite dix ans pour le voir renouveler cette performance, avec le dixième titre national du club en 1997, en championnat d'été. Et les autres équipes locales n'ajoutent quant à elles pas une seule ligne à leur palmarès.
Pour accueillir la coupe des confédérations en 1999, le stade de Guadalajara connaît de nouveau une rénovation. Aujourd'hui, le stade est entièrement assis, pour une capacité de 56 713 spectateurs. De plus, il dispose d'espaces réservés à la presse et de loges VIP à la pointe de la modernité. Sur le terrain, en revanche, on regrette un peu le passé. D'autant plus que dans peu de temps, Chivas va quitter l'estadio Jalisco pour son propre stade, non loin de là, une arène moderne pouvant accueillir 45 000 spectateurs. Depuis cette décision, l'avenir du stade Jalisco est incertain : sur les quatre clubs associés pour sa construction et son exploitation, l'Universidad de Guadalajara n'existe plus, l'Oro-Jalisco n'a aucune envergure, et l'Atlas semble ne pas pouvoir assumer seul l'entretien d'un tel géant. Les défenseurs du Jalisco invoquent l'exemple de Wembley : comme si la cause du Jalisco était déjà inéluctablement perdue.