Riche en pétrole et peuplé à majorité d'Indiens, l'Etat de Veracruz végète dans la misère.
Quand, sur le chemin, après des heures de route en lacet dont le bitume se dégrade au fil des kilomètres, après avoir passé d'innombrables villages, Tlilapan, Tequila, Tlaltenango, Tlaquipulca, Tzocualo, on demande enfin si Tehuipango est encore loin, un paysan dit : «Suivez la route jusqu'au bout, quand elle se transformera en chemin de terre, vous trouverez Tehuipango, après, il n'y a plus rien.» Tehuipango, dans l'Etat de Veracruz, connu pour ses puits de pétrole, est un lieu quasi oublié du Mexique. Perdu dans un paysage magnifique dominé par le pic de Orizaba, le volcan le plus haut du pays (5 700 m), dont la cime, à cette époque de l'année, est enneigée, la municipalité de 20 400 habitants a le triste privilège de figurer au bas de la liste du Programme des nations unies pour le développement (Pnud). Pour l'organisation internationale, l'indice de développement humain de Tehuipango, qui prend en compte non seulement le revenu par habitant mais également l'accès à l'eau potable, l'éducation ou la santé, est du niveau du Malawi, un des pays les plus pauvres d'Afrique.
Ici, dans cette région des montagnes de Zongolica, on est en pays nahua (un des quarante groupes ethniques du pays), et la plupart des indigènes, surtout les vieux, ne parlent que nahuatl. Tehuipango ne fait pas exception à la règle. Sur le chemin, on les croise en costume traditionnel, tirant un âne ployant sous des fagots de bois ou de méchants bidons de plastique remplis d'eau ; au détour d'un virage, des femmes lavent le linge sous une cascade ; deux petites écolières en uniforme bleu disent qu'elles font une heure et demie de marche par jour pour aller à l'école. Elles font partie des 30 % de jeunes qui parlent espagnol et qui vont à la segundaria, le collège. Leurs parents ne savent ni lire ni écrire.
Isolement. Tehuipango rassemble 55 communautés, réparties sur une centaine de kilomètres carrés dans les montagnes. Le chef-lieu, où se trouve la mairie, est relativement coquet. L'église, le marché, quelques petits commerces tenus par des femmes. Des tiges de fer sortent des toits. On rénove, on agrandit. Des camions évitent des chèvres. C'est jour de marché. Depuis deux ans, les familles qui vivent ici ont l'électricité, l'eau potable, certaines le téléphone. Mais que dire de celles qui sont isolées dans la montagne. Là-bas, il n'y a ni lumière ni eau potable. Encore moins de tout-à-l'égout. Les maisons sont en bois, et l'hiver y est plus rude qu'ailleurs. Compte tenu de la dispersion de la population, certaines communautés se situent à plus de 5 km d'une route.
Leoncio Macuixtle Macuixtle a été élu en 2004 sous la bannière de la Coalition pour le bien de tous, le mouvement du leader de la gauche mexicaine, Andrés Manuel López Obrador. Dans son bureau, un portrait du président sortant, Vicente Fox, mais également de Benito Juárez, le premier président indigène de la République. Depuis qu'il est entré en fonction, il tente de désenclaver Tehuipango, de sortir les gens de la misère. «L'Etat de Veracruz est depuis toujours dirigé par un gouverneur appartenant au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) qui a dominé le pays depuis 1929. En 2000, il y a bien eu une alternance au sommet de l'Etat, mais ici, rien n'a changé et les gouverneurs successifs ont toujours eu tendance à aider les municipalités de la même couleur politique. Avant moi, le maire était du Parti action nationale (PAN)», dit-il. Mais que faire contre le chômage ? «Il n'y a pas d'emploi. Et le traité de libre commerce, signé en 1994 avec les Etats-Unis, n'a pas arrangé les choses. Les plus chanceux partent travailler comme journalier, pour ramasser le café, couper la canne à sucre, ou cueillir les tomates. Avant, ils partaient à pied, un jour et demi pour atteindre leur travail.» Jusqu'à Córdoba ou Huatusco, dans l'Etat voisin de Puebla, gagner quelques pesos pour «nourrir» leur famille. Avec les bus, le trajet dure cinq ou six heures. Mais 5 % des hommes ont tenté leur chance vers les Etats-Unis, faute de trouver de quoi survivre ici. Les quelques plants de maïs, les rares moutons ou chèvres sont pour la consommation locale.
Leoncio sait ce que c'est que la misère. Il est né ici. Ses parents étaient pauvres. «Je le suis aussi , dit-il en reprenant la phrase de López Obrador, on ne peut tolérer d'avoir un gouvernement riche et un peuple pauvre.» Des indigènes font la queue devant son bureau. Elles viennent pour se plaindre de la perte d'un poulet, des coups qu'elles reçoivent de leur mari, ou demander une aide financière pour acheter des médicaments pour leurs enfants (6 en moyenne) qui sont malades, souffrent de malnutrition ou de diarrhée. La mortalité infantile atteint ici le double de la moyenne nationale. Il leur parle en nahuatl. Tente de résoudre les problèmes. De convaincre les femmes enceintes d'aller à l'hôpital à une vingtaine de kilomètres de là pour accoucher, ce qui est difficile pour nombre d'entre elles compte tenu de leurs coutumes indigènes. Il distribue des couvertures car la température descend au-dessous de zéro en hiver dans les montagnes.
Laissés-pour-compte. A Tehuipango, les inégalités sont plus criantes que partout dans le pays. Enclavé et peuplé d'indigènes qui sont les laissés-pour-compte du régime. Le pétrole ? L'Etat de Veracruz en a mais ne fait que l'extraire. Aucune raffinerie n'a été construite depuis plus de cinquante ans. L'or noir est envoyé aux Etats-Unis, et le Mexique importe la majorité de son essence et de son gaz. La richesse de l'Etat ne bénéficie pas au peuple.
Le Mexique est coupé en deux. La différence de niveau de vie entre les Etats du nord et du sud va du simple au double. Entre les villes, elle peut aller jusqu'au triple. Si les municipalités étaient classées comme des pays, celle de Benito Juárez, dans le Distrito Federal, figurerait aux côtés de l'Italie, Tehuipango dans l'Etat de Veracruz, Metlatonoc dans celui de Guerrero, Coicoyan de las Flores dans l'Etat d'Oaxaca pourraient se comparer à l'Afrique subsaharienne. Veracruz participe le plus de cette inégalité à l'échelle nationale : au sein même de l'Etat cohabitent les meilleurs et les pires indicateurs de revenu, de santé et d'éducation. Pour son malheur, Tehuipango figure au bas de l'échelle.