Origines du projet, objectifs et stratégie de recherche
À 50 km environ au nord de ce qui fut l'un des plus grands centres politiques mayas classiques, Calakmul, et à une distance presque équivalente à l'ouest du coeur d'une région connue pour son style architectural original dénommé " Rio Bec ", Balamku se situe sur la frange nord-ouest des Basses Terres centrales mayas : une zone très mal connue sur le plan archéologique jusqu'à ces dernières années. Le site a été découvert en 1990 : à cette date, en effet, des pilleurs mirent au jour, sur le haut de la façade d'un palais enfoui à l'intérieur d'une pyramide plus récente, une grande frise en stuc modelé et peint (elle mesure 16,80 m de long et 1,75 m de haut, et se prolonge sur quatre piliers qui émergent de la surface du toit et ont, eux, 2,75 m de haut) ; cette frise proclame l'assimilation de la personne royale au soleil : comme l'astre solaire, le roi, qui trône en majesté, est issu du monde souterrain qu'il domine.
Le sauvetage de la frise assuré, son iconographie étudiée et les bâtiments les plus proches dégagés et consolidés, il restait à étudier le site lui-même. C'est ce que le projet Balamku a tenté de faire au cours de cinq campagnes annuelles de recherche sur le terrain (de 1996 à 2000), soit environ 10 mois de fouilles.
Balamku est un établissement de taille moyenne : ses quatre groupes principaux avec leurs alentours les plus proches couvrent à peine un kilomètre carré, une surface et un nombre de bâtiments toutefois bien trop élevés pour pouvoir être étudiés intégralement dans le cadre du projet réalisé (agrandir carte ci-contre). Pour reconstituer l'histoire de l'occupation du lieu, aussi bien dans ses aspects strictement chronologiques que sociaux - qui furent les habitants de Balamku et comment vécurent-ils à cet endroit ? -, plutôt que de fouiller une sélection de structures réparties dans tout le site et choisies sur des critères plus ou moins subjectifs, il a été décidé de procéder à la fouille aussi systématique que possible d'un des quatre ensembles principaux, le groupe Sud. Ce groupe, avec sa douzaine d'édifices visibles en surface, dont il est apparu d'ailleurs assez vite qu'ils n'avaient pas été occupés aux mêmes périodes, n'a jamais abrité qu'une population réduite, quelques familles de l'élite notamment. La compréhension de la société qui, aux différents moments des deux millénaires d'histoire du site (500 av.-1500 apr. J.-C.), a été en relation avec Balamku impliquait donc naturellement la recherche des traces des catégories les plus simples de la population : ce qui imposait l'élargissement de l'étude à la périphérie du groupe Sud (sur une cinquantaine d'hectares) et la réalisation d'une prospection, accompagnée de sondages stratigraphiques, sur une bande de 12 km de long et 500 m de large environ entre Balamku et le site monumental le plus proche connu, Nadzca'an, à l'est-nord-est.
Principaux résultats
Des travaux effectués dans le groupe Sud de Balamku et sa périphérie on peut tirer plusieurs enseignements importants.
Cette partie du site a été occupée plus longtemps que ce que l'on imaginait a priori et elle l'a été selon des modalités en partie originales par rapport à l'histoire standard des Basses Terres centrales. Les plus anciens indices d'occupation détectés, notamment sous la place B du groupe, remontent au Préclassique moyen (700-300 av. J.-C.) ; dans ce même secteur, les vestiges enterrés les plus proches de la surface de la place, qui datent du IIIe siècle de notre ère, sont les restes arasés d'une structure de plan mixte comprenant un soubassement circulaire, enfermée dans un mur périphérique orthogonal : d'autres structures rondes, parfois à plusieurs corps superposés, sont connues à la fin du Préclassique au nord-est du Peten et au Bélize ; elles ont été interprétées comme des constructions à vocation religieuse.
Le premier grand apogée du groupe Sud se situe au début du Classique ancien (300-450 apr. J.-C.) avec la construction d'un grand temple-pyramide (photo ci-contre), D5-5sub, et d'une résidence de haut statut (D5-10). La fouille de D5-5sub a permis d'établir que le temple devait posséder une porte d'entrée à décor zoomorphe, préfiguration simple d'une iconographie qui triomphera trois à quatre siècles plus tard ;
par ailleurs, la découverte, sous le temple sommital, d'une tombe " royale " (elle comporte de riches offrandes dont les éléments les plus spectaculaires sont des céramiques polychromes, photo ci-contre) indique que, dès cette époque, les cultes publics avaient une dimension funéraire et dynastique. À la même époque une autre paire d'édifices pyramide-résidence existe dans le groupe mais sous une forme nettement plus modeste.
Au Classique récent (600-800 apr. J.-C.), qui est dans les Basses Terres centrales l'époque des plus grandes réalisations, le groupe Sud de Balamku et sa périphérie sont étonnamment peu occupés
Toutefois, à la fin de cette période et au Classique terminal (800-1000), le secteur connaît une nouvelle brillance, en particulier avec l'édification, dans le style architectural Rio Bec (photo ci-contre), de trois résidences autour d'une place et d'un grand nombre d'habitations aux alentours. Fait également surprenant, l'occupation de ces structures semble s'être prolongée au-delà du moment d'effondrement de la plupart des grands sites de la région centrale, au IXe siècle. Cela dit, l'abandon de ces édifices ne serait pas allé sans violences. Après un temps de dépeuplement, le groupe Sud de Balamku et ses environs ont abrité au moins un hameau au XIVe ou au XVe siècle, hameau dont les habitants fréquentaient les ruines des anciennes constructions où ils pratiquaient des rites, de vénération aux stèles par exemple.
Parmi les apports du projet Balamku, on soulignera la mise en évidence du fait que les occupants du groupe après le Classique ancien s'installèrent et vécurent à côté de ce qui devait être des ruines, D5-5sub, D5-10... En outre, l'organisation de l'habitat telle qu'on la reconstitue est assez conforme au modèle, pourtant critiqué, du " centre cérémoniel ", peu peuplé mais exerçant une forte attraction sur une population ordinaire qui vivait dispersée.
Perspectives
Le projet Balamku 1996-2000 s'est achevé pour les opérations de fouilles en avril 2000. L'étude des matériels recueillis (céramique, lithique...), elle, se poursuit, tout comme l'analyse des données. Une publication de synthèse des résultats du projet est d'ores et déjà en préparation. En 2002, un nouveau grand projet de recherche sera lancé dans les Basses Terres mayas au Mexique : il se situera certainement sur le territoire de l'État actuel du Campeche, mais il n'est pas assuré qu'il concernera à nouveau le site de Balamku.